Revue A.R.T. n°9
N° 9 : La joie (mars 2024)
Introduction Cécile Margelidon et Rodolphe Perez)
Au sommaire
Clémence Jaime (Université Jean Moulin Lyon 3 – IHRIM) : Voyageurs en fête. La joie de l’intercompréhension dans quelques récits de voyage de la première modernité
Mots-clefs : récits de voyage, rencontre, joie, intercompréhension, fêteRésumé : Chacun des trois récits de voyage à l’étude présente des situations de rencontre entre un ou plusieurs personnages européens et des peuples dont ils ignorent complètement, au début du récit, la langue, qu’il s’agisse des Tupinambas pour Jean de Léry (Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, 1578), des Malaisiens, des Chinois, et des Japonais pour Fernão Mendes Pinto (Peregrinação, 1614) ou encore des Maldiviens pour Pyrard de Laval (Voyage, 1611). Le point commun de ces trois textes est en outre d’accorder une large place à la description des interactions qui ont lieu entre les personnages : les auteurs rendent compte des dialogues auxquels ils ont assisté ou pris part, tout en décrivant à chaque fois les mouvements de joie festive et le plaisir suscités, de part et d’autre, par ces interactions sociales.
Pour que de telles interactions aient lieu, nos auteurs apprennent les langues et parlent directement avec les personnes rencontrées. L’intercompréhension donne alors lieu à des scènes joyeuses, qui témoignent de l’émotion qui survient lorsque le désir de passer outre la frontière linguistique est assouvi. Nous proposons d’étudier ici le rôle moteur que jouent les émotions dans l’apprentissage linguistique et les manifestations précises de la joie, dont la représentation est bien souvent différenciée selon les personnages et les auteurs. Il n’en reste pas moins que l’apprentissage linguistique, qui émane d’une intense curiosité, condense la dimension intérieure de la joie en tant qu’expérience intellectuelle, et sa dimension extérieure, ses manifestations linguistiques et physiques, témoignant de son caractère intrinsèquement social.Ziqian Xiao (Sorbonne Université, CELLF): La joie comme voisine de la douleur.La dialectique de la joie chez les Encyclopédistes
Mots-clefs : joie, douleur, Encyclopédiste, dialectique, bonheur.
Résumé : La joie et la douleur, habituellement considérées comme deux sentiments opposés, sont des voisins étroitement liées dans l’explication des Encyclopédistes, et il existe entre elles une relation dialectique très particulière. Les collaborateurs de l’Encyclopédie, représentés par Denis Diderot et Louis de Jaucourt, interprètent la joie et la douleur à partir de différentes perspectives, notamment philosophique, morale, physiologique et médicale, et soulignent les grandes similitudes et la forte corrélation entre les deux en termes de causes déclenchantes, de processus de développement et de manifestations. Les deux peuvent se transformer mutuellement dans certaines conditions, mais la frontière entre elles est très floue, et la plupart des choses au monde ne sont pas entièrement constituées de l’une ou de l’autre ; elles sont souvent entrelacées. C’est dans cette optique que s’inscrit la conception du bonheur des Encyclopédistes, qui ne recherchent pas une joie constante, mais plutôt un état de tranquillité heureuse, en acceptant sobrement la douleur qui l’accompagne nécessairement. Cet article tente d’élucider la dialectique de la joie et de la douleur proposée par les Encyclopédistes, ainsi qu’à révéler la quête incessante du bonheur au siècle des Lumières.
Maxime Morin (Université de Lille): L’impuissante joie - Prolégomènes à une poétique bernanosienne du dépouillement
Mots clefs : joie, douleur, bonheur, désir, scandale, impuissance, dépouillement, extase.
Résumé : De la conception bernanosienne de la joie, on peut dire deux choses. D’une part, que la joie n’est pas le bonheur, qu’elle lui est incommensurable et même que le bonheur est proprement son scandale. D’autre part, que la joie n’est rien d’un moment extatique ou extraordinaire et qui viendrait rompre l’ordinarité quotidienne de la vie, mais qu’elle est cette vie même dans sa nudité la plus simple en tant qu’impuissance fondamentale à l’égard de soi. Une telle conception, cependant, ne se déploie pas uniformément d’un bout à l’autre du corpus bernanosien : elle est révélée à notre auteur à la faveur de ce qu’il faut bien appeler une « conversion », que le présent article se propose de situer entre La Joie (1929) et le Journal d’un curé de campagne (1936).
François Chanteloup (Université de Lausanne): Gustave Roud et la joie: Faire durer l'éclair. Essai pour un paradis
Résumé : Bien que l’œuvre du poète suisse romand Gustave Roud (1897-1976) fasse une large place à l’expression de sentiments ou d’émotions dysphoriques, la joie traverse néanmoins de nombreux textes. Parmi ceux-ci, il faut citer Essai pour un paradis, une longue prose poétique publiée en 1933, qui raconte avec lyrisme une « année » vécue au cœur d’une joie soutenue par la présence de l’ami aimé, inaccessible. Au fil des saisons, se pose la question de l’extension temporelle : la joie peut-elle demeurer, ou n’est-elle destinée qu’à « retomber », comme le paysage après l’exaltation de l’été ? En d’autres termes, est-il possible de faire durer l’éclair, en se saisissant de sa puissance d’illumination ?
Thibaut Marin (Université de Tours, ICD): L’orchestration pianistique chez Sun Ra :Entre joie et chaos
Mots clefs : Free musics, jazz, improvisation, analyse musicale, esthétique
Résumé : Loin d’être linéaire, la production pour piano solo de Sun Ra est à l’image de son parcours : discontinue et multiple. A travers cet article, nous retracerons sa pratique soliste de cet instrument encouragée par Paul Bley, figure centrale du piano moderne, lors d’une tournée européenne en 1977. Prenant en compte tant la joie que l’apparence chaotique qui traversent ses improvisations, nous analyserons ce répertoire afin d’éclairer la conception de l’orchestration pianistique pour ce musicien.