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Revue A.R.T. N°4

N° 4 : Communautés (mai 2021) 

Coord. Cécile Margelidon et Héctor Valencia Salamanca

1. Présentation

Présentation

Comment un groupe peut-il non seulement s’intégrer dans un groupe plus vaste sans perdre son identité propre, mais aussi comment ce groupe plus vaste peut-il apprendre, se reconnaître et s’identifier à d’autres communautés religieuses, linguistiques ou politiques différentes de la sienne ? Comment tenir ensemble la fidélité et l’intégration ? La reconnaissance collective vis-à-vis de la reconnaissance individuelle ? Quelles sont les modalités, les cadres, les procédés qui permettent aborder les questions autour l’identification collective, la coopération social, l’ouverture à autrui ? Les différents articles de ce numéro font droit à la diversité des manières d’aborder une communauté, depuis sa définition philosophique chez Alasdair MacIntyre (Godefroy Desjonquères) et son inscription dans la dialectique du même et de l’autre (Dielvich Tonda) jusqu’à une relecture de la situation contemporaine de la pandémie de Covid-19 à partir d’Edith Stein (Lucia Gangale). L’entrée dans une communauté, celle du Parlement de Paris au XVIIe siècle, permet également de s’interroger sur ce qui définit concrètement ce groupe (Jean-Benoît Poulle). Les textes du XVIIIe siècle, notamment Candide de Voltaire, peuvent faire l'objet d'une relecture spinoziste afin de reconsidérer le rapport entre individus et communautés dans la fiction (Benoît Petiet). Enfin, la comparaison des pensées de Maurice Barrès, Octave Mirbeau et Léon Bloy permet de considérer trois réactions au délitement de la société traditionnelle (Yoann Chaumeil), jusqu’à son prolongement chez Georges Bataille et sa tentative de constitution d’un Collège de sociologie (Rodolphe Perez).

2. L’éclatement communautaire et la littérature fin-de-siècle - Yoann Chaumeil (Université Toulouse-Jean Jaurès)

Mots-clefs : Communauté, fin-de-siècle, Barrès, Mirbeau, Bloy.

L'éclatement communautaire et la littérature fin-de-siècle (lire l'article)

Cet article propose une réflexion sur la manière dont trois écrivains de la fin du dix-neuvième siècle, qui campent des positionnements très différents, réagissent au délitement de la communauté traditionnelle, jadis fondée sur des liens organiques entre les individus. Si, à l’époque, c’est le discours sociologique qui s’empare surtout de la question de l’anomie, de l’individualisme triomphant et de la fin du holisme, la littérature, à sa manière, nous livre elle aussi autant d’éléments de figuration et d’analyse de cette crise sociale qui s’épanouit alors.
 

3. La communauté au fondement de la rationalité : Wittgenstein et MacIntyre - Godefroy Desjonquères (EHESS)

Mots-clefs : Esprit, langage, individualisme, Wittgenstein, institutions du sens.

La communauté au fondement de la rationalité (lire l'article)

Question politique par excellence dans ses implications et ses conséquences, la relation entre l’individu et le groupe est avant tout, cependant, une question épistémologique et linguistique, toujours tributaire d’une conception particulière de la rationalité humaine. Ainsi, pour un auteur comme Alasdair MacIntyre, l’impasse du projet libéral relève de l’anthropologie plus que de la politique : à partir d’une conception erronée de la raison humaine, le libéralisme contredit la nature même de notre existence sociale, en rendant le groupe d’appartenance contingent face à l’idéal d’autoconstitution d’un sujet conçu comme un exemplaire « complet » et autonome de l’espèce humaine. Comprendre l’opposition des communautariens au libéralisme moderne demande donc de revenir à leur conception particulière de la rationalité, largement tributaire de la pensée du « second Wittgenstein », qui subordonne la raison individuelle à l’existence d’ « institutions du sens » (Descombes), extérieures et partagées, qui en conditionnent l’intelligibilité. C’est sur ce fondement épistémologique qu’il convient d’examiner à nouveaux frais l’opposition entre libéraux et communautariens : cela doit nous permettre de mettre en valeur son caractère aporétique, et la valeur des travaux comme ceux de MacIntyre, qui cherchent à ouvrir une troisième voie entre un universalisme aveugle et un relativisme communautaire assumé.

4. Actualité de la réflexion politique et philosophique d’Edith Stein sur le concept de « communauté » - Lucia Gangale

Mots-clefs : Communauté, phénoménologie, vocation, peuple, État.

Actualité de la réflexion politique et philosophique d'Edith Stein (lire l'article)

Edith Stein, sainte intellectuelle martyre à Auschwitz, a parlé dans son autobiographie de ressentir dans sa vie « un sentiment de solidarité avec toute l’humanité, mais aussi avec la communauté la plus proche ». Elle a consacré une large place à ce thème dans ses écrits de philosophie, en soulignant que dans l’État, qui est une communauté d’individus, chacun porte sa part de responsabilité. Dans toute sa philosophie, Edith Stein insiste sur le concept de communauté. Et c’est précisément pour la communauté de son peuple qu’elle-même, née le jour de l’expiation (le Kippour), meurt avec le Christ en expiation de son peuple. Dans un monde où la haine et l’opposition sociale ont grandi et où la pandémie de Covid-19 a mis en crise nos vies, les indications d’Edith Stein sont aujourd’hui plus que jamais précieuses et actuelles.
 

5. Penser l’individuation hors de la communauté et dans la communauté : pour une lecture spinoziste des fictions - Benoît Petiet (Paris-Nanterre)

Mots-clefs : Spinozisme, individuation, fiction, politique, Voltaire.

Penser l'individuation hors de la communauté (lire l'article)
 

Cet article propose une façon de mobiliser les concepts spinozistes dans la relecture des fictions, et notamment celles du XVIIIe siècle. En se concentrant sur le problème de l’articulation du corps humain et du groupe dans une perspective anti-individualiste, il défend l’usage d’outils critiques spinozistes avant de les mettre à contribution dans une brève relecture de Candide de Voltaire.

6. L'expérience du Collège de sociologie ou les paradigmes du communautaire: Littérature, politique et sacré - Rodolphe Perez (Université de Tours)

Mots-clefs: communication, sacré, écrivains, politique, autorité.

L'expérience du Collège de sociologie (lire l'article)

Résumé: En 1937, après plusieurs aventures collectives malmenées, Georges Bataille entreprend, avec Leiris et Caillois, de penser la situation politique et historique par le prisme de la sociologie. Ce projet foncièrement interdisciplinaire entend interroger la notion de sacré comme ciment culturel du vivre ensemble à la lumière de la psychanalyse naissante mais également de la littérature. Puisque l’histoire semble se précipiter vers le chaos, il s’agit pour eux de penser le phénomène sociologique de la réussite de l’exaltation de la violence dans les régimes fascistes pour lui opposer une réponse sur une terrain similaire. Cette entreprise ouvre la voie à une scène de la création artistique où se croisent de nombreux intellectuels de l’époque qui interrogent les limites de la notion d’autorité morale dans une perspective volontairement horizontale, soucieuse de faire communauté.
 

7. La réception au parlement de Paris au début du XVIIe siècle : Une cérémonie ritualisant l’entrée dans une communauté professionnelle, sociale et politique - Jean-Benoît Poulle (Sorbonne Université)

Mots-clefs : Parlements, cérémonie de réception, La Roche-Flavin, vénalité des offices, culture juridique.

La réception au Parlement de Paris (lire l'article)

Au XVIIe siècle, la cérémonie de réception d’un nouveau juge au parlement de Paris, connue par des traités comme Les Treze Livres de Parlement de La Roche-Flavin, est notamment marquée par un examen de capacité, qui doit vérifier les connaissances et aptitudes juridiques du candidat. En imposant ce contrôle, outre les autres conditions qui encadrent l’accès au Parlement, ce dernier renvoie l’image d’un corps de juristes professionnels soucieux de l’intégrité de ses magistrats. Cependant, les récits de réceptions conflictuelles révèlent aussi leurs ressorts politiques et sociaux, conséquences des transformations importantes introduites par la vénalité des charges.

8. Ipséité et altérité, les -ismes du mélange - Dielvich Tonda (Université de Tours)

Mots clés : Ipséité, altérité, isme, mélange, littérature comparée.

Ipséité et altérité (lire l'article)

Aller à l’autre, est-ce s’aliéner ou se découvrir ? Un élément de réponse esquissé grâce à deux concepts : l’ipséité et l’altérité. L’un définit le sujet qui prend conscience de qu’il est, l’autre est le fait de s’examiner par rapport au regard d’autrui. De fait, nous défendrons primitivement la thèse selon laquelle le sujet est libre de choisir ce qu’il veut être compte tenu de ses choix personnels. Il construit sa propre identité. D’autre part, le contact entre « communautés », fait inéluctable aujourd’hui, est le moyen impérieux pour connaître l’autre et à travers lui se déconstruire pour nous construire.